La chronique n°23

Vous, chroniqueurs d’art, à cause de votre indifférence,
90% des artistes vont très mal.

Chère (cher) collègue,

Je vous ai spécialement placé en pièce jointe, à vous et à 4000 chroniqueurs d’art, une  copie NB  des  deux pages de l’entretien avec le Président de la Maison des Artistes, paru dans le magazine Artension de janvier et que je viens de découvrir.

C’est assez alarmant ! Rendez-vous compte : on y apprend que  30% des artistes sont au RSA ; que la profession d’artiste est la seule qui ne soit pas consultée par les pouvoirs publics pour ce qui la concerne ; qu’une organisation comme la Maison des Artistes groupant 17000 adhérents, n’est pas agréée comme représentative auprès du Ministère et ne reçoit aucune subvention ; que tel critique porte -parole de la pensée ministérielle considère cette organisation  d’artistes comme une « poubelle » ; que la subvention allouée aux grands salons historique couvre à peine les frais de location des lieux : que 95% des artistes déclarés sont ignorés des dispositifs d’aide à la création, etc., et que, pendant ce temps –là , l’État dépense des sommes pharamineuses dans des opérations de « rayonnement » de l’art français à l’international de type Force de l’art, Monumenta et autres opérations « d’irradiation planétaire  de l’insondable connerie de l’art étatique néo-pompier» absolument  contre-productives en termes d’image de l’art français.

Mais vous, chroniqueurs d’art, journalistes, critiques d’art, semblez , pour la plupart, ne pas être concernés par cela , ou en tous cas,   n’en parlez pas, comme si c’était tabou ou hors sujet.

Je sais que pour vous aussi la vie est difficile, que vous ne tenez pas à perdre  votre boulot ou vos piges en exprimant  vos problèmes  de conscience, en allant à l’encontre  d’une sorte d’omerta insidieuse, d’un consensus mou, d’un esthétiquement correct, d’un conformisme prudent  ou d’un fayotage obligatoire envers  le Financial art et/ou  l’art médiatico- institutionnel dominants. Ce serait en effet assez mal vu de cracher dans la soupe du grand zapping politico- culturo- médiatique qui vous nourrit et s’intéresse évidemment bien plus à l’événementiel, au performatif, au subversif, au spectaculaire , aux  gigantesques incontinences plastiques de type Ben, Buren, Boltanski, Venet, et autres colossaux étalagistes  de la vacuité, plutôt qu’à la paupérisation extrême de 90% des artistes plasticiens, bien démoralisante et qui n’intéresse personne.

Ce serait pourtant bien de votre part, qu’à l’occasion par exemple d’un passage de pommade  commandé par votre rédac-chef sur telle ou telle incontournable expo officielle de pur  inepte distingué, de pur  foutage de gueule et de pure branchouille provinciale, vous puissiez balancer en douce, dans un coin de paragraphe, comme un clin d’œil vers les honnêtes gens,  une belle petite vacherie sur « l’insondable connerie de l’art subventionné » dont on bourre le crâne des classes moyennes pour mieux les inciter à voter Marine le Pen.

Ce serait bien mieux si vous pouviez faire un vrai travail d’investigation sur le produit artistique exposé dont vous avez à parler : son origine, ses ingrédients, sa traçabilité, sa durabilité, sa toxicité, sa date de péremption, son coût pour le contribuable, ses commanditaires, ses liens avec la mafia culturo-affairiste entretenue par la DRAC locale, ses liens avec les réseaux de la grande spéculation internationale, etc.

Et ce serait encore bien mieux si vous pouviez convaincre votre rédac-chef  de prêter attention à la diversité de la création actuelle et de consacrer  plus amplement ses colonnes aux artistes  à contenu,  qui ont valeur patrimoniale, et qui pour cela intéressent finalement beaucoup plus les lecteurs que les sempiternels porte-enseigne des appareils dominants de décervelage collectif.

Un exemple d’expo, dont vous pourriez ne pas parler :

Eric Hattan est un artiste de type schtroumpf émergent qui est actuellement un des  champions  de l’imbécillité  artistique subventionnée dans les lieux d’art contemporain français. Son truc à lui, son « concept »  en quelque sorte, est d’installer un désordre effroyable dans la galerie ou centre d’art où il est invité en résidence,  en prenant  tout ce qu’il trouve comme mobilier et objets de toutes sortes, pour en bourrer furieusement tous les placards, les embrasures les fenêtres, les portes et autres passages de l’endroit investi, ( comme vous le voyez sur la photo en pièce jointe)au mépris du petit personnel qui voit ainsi  son matériel de travail momentanément inutilisable

Cette oeuvre in situ, nous dit, tel chroniqueur local, « questionne judicieusement le rapport de l’espace de lieu d’art et des oeuvres, souvent mis en avant dans les expositions via ce que les commissaires nomment le « dialogue » et qui est, dans l’oeuvre d’Eric Hattan, réduit à sa plus simple expression. »

La petite perfidie  à insérer serait la suivante : « L’artiste va-t-il venir remettre tous les objets qu’il a utilisé à leur place d’origine ? ?»

Mais moi je pense qu’on ne doit pas parler de cette expo, quand on est un chroniqueur d’art qui se respecte, et surtout qui se rend compte qu’en parler, c’est collaborer à cette stratégie  globale de  destruction des valeurs,  d’arasement du sens, d’apologie de l’inepte et de vidage de 90% du contenu, qui, au-delà de cette petite expo exemplaire,  permet que 90% du marché de l’art soit purement spéculatif et sans substance artistique réelle, (exactement comme pour le marché financier mondial qui fonctionne  aussi avec 90 % de virtuel spéculatif) et que  90% des artistes (bien réels eux) aillent très mal aujourd’hui.

(Je vous ai placé en pièce jointe une oeuvre récente du nommé Eric Hattan)

 

Un autre démolition-schtroumpf

Je viens de recevoir le DP pour l’expo Karim Ghelloussi qui « présentera ses derniers travaux comme autant d’indices liés à la mémoire collective » au Château des Tourettes qui est un lieu relais du FRAC-PACA. « Karim Ghelloussi atomise les icônes populaires, les pollinise, les sédimente. Dans son territoire présymbolique, il les digère, les réfrigère. En quête d’humus, de socle organique, il explore son fonds d’atelier qu’il n’a de cesse d’alimenter de rebuts, d’objets du quotidien mâchés, rejoués, recrachés. » nous dit K. Feltrin…tout un programme ! (voyez la photo jointe)