La chronique n°10

Quand le schtroumpf émergent devient hargneux et grossier :

«OUVRE BIEN TA BOUCHE ET FAIS OH!
BRAVO C’EST BIEN. MAINTENANT JE TE PISSE DEDANS!
ET SURTOUT NE ME RÉPONDS PAS. »

Ceci est le mail que m’a envoyé un schtroumpf après lecture de ma précédente chronique. Il provient de l’adresse mail : contact@wallpapersbyartists.com qui, après recherche sur Internet, s’avère être une entreprise privée produisant des «papiers peints d’artistes». Entreprise située à Dijon et dont le schtroumpf gérant, auteur probable de ce mail, est aussi professeur à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de cette même ville. Ce que l’on découvre en outre, c’est que, Parmi les 5 ou 6 artistes créateurs de ces «wall papers» (le schtroumpf parle américain de préférence), il y a, je vous le donne en mille … Olivier Mosset !

J’ignorais tout à fait que notre Mosset national s’adonnait aussi, en plus de la motocyclette, au plaisir du papier peint monochrome, mais cette révélation me permet de comprendre la bouffée hargneuse de ce schtroumpf éditeur de «contemporary art wall paper», quand il voit que dans ma chronique je lui casse son fond de commerce en ridiculisant son artiste vedette.

J’ai reçu des centaines de réactions élogieuses et enthousiastes de lecteurs de mes dernières chroniques et de visiteurs du site que j’ai dédié au schtroumpf émergent. Je n’ai reçu que deux réactions de schtroumpfs : la première venant des auteurs du tas de bois et qui a fait le sujet de ma chronique n° 9, et puis celle-ci qui vient de l’éditeur de papier peint… Sa violence mesure la dangerosité de cette petite frappe, tortionnaire coutumier du sens, au service d’une gestapo culturelle sentant venir sa débâcle. On imagine également la monstrueuse crétinerie de cette élite culturelle s’achetant du papier monochrome signé Mosset pour tapisser ses murs et affirmer ainsi sa supériorité sur son prochain….

Dijon , capitale historique de la moutarde… est devenue maintenant capitale de la schtroumpferie artistique émergente à l’international, avec son « Consortium » qui est sans doute le lieu d’art le plus terrifiant de ce pays ; avec son FRAC Bourgogne qui est l’un des plus artistiquement anorexiques de France ; avec son école des Beaux Arts des plus sternutatoires ; avec sa galerie Triple V, son Athéneum, ses Editions « Presses du réel », etc. On se demande pourquoi cette jolie petite ville est frappée d’une telle malédiction artistique, plutôt que Montauban, Limoges ou Poitiers ?

Pour comprendre les raisons profondes de cette inhumanité artistique dominante et proliférante y compris dans nos provinces , je vous conseille de lire l’essai récemment paru aux Editions Gallimard, de François Chevallier, critique d’art et de cinéma, ex –directeur des « Chroniques de l’art vivant » . Ce livre est intitulé «La société du mépris de soi – De l’Uninoir de Duchamp aux suicidés de France-Télécom».

Pour vous inciter à sa lecture, je vous livre ci-contre cet extrait de l’entretien accordé par François Chevallier à Benjamin Berton pour la revue Fluctuat et téléchargeable sur internet

Entretien accordé par François Chevallier à Benjamin Berton
pour la revue Fluctuat et téléchargeable sur internet.

Est-ce que L’Urinoir de Duchamp n’a pas pris avec les années une dimension presque chaleureuse ?

Vous voulez dire qu’une fois l’effet de surprise passé l’objet non seulement ne choque plus mais devient attendrissant comme le vestige d’une jeunesse rebelle passée ? Bien sûr si vous oubliez son prix astronomique, les manœuvres pour faire monter sa cote et la désymbolisation catastrophique qui en est toujours le résultat. Bref si vous oubliez que cette amusante tentative dadaïste de désacralisation de l’art humaniste soi-disant « bourgeois » a abouti à une frénétique sacralisation d’objets bas de gamme ramenant l’être humain civilisé des temps « modernes » à un fétichisme de primates éblouis par des icônes clinquantes ….

Vous vous en prenez assez violemment dans le livre au travail de Buren. Est-ce que vous pouvez redire ici très rapidement ce que vous lui reprochez ?

Apposer son logo sur le maximum d’espace possible, comme un chien pisse pour se créer un territoire, ne suffit pas à remplir le vide ainsi créé. Et faire plébisciter ce vide par des spectateurs ingénus, en leur faisant croire qu’ils participent à ou même qu’ils sont l’Art, relève d’une mécanisation de l’Autre typique du narcissique manipulateur qui ne se sent exister que par le public.

En fait de caractère ludique et participatif il y a chez ces artistes exploitation du spectateur pour lui donner, en échange, une sorte de divertissement passager attirant l’attention sur eux-mêmes. On retrouve là la notion clef de la société de consommation : le divertissement du réel au profit d’un objet-spectacle commercialement siglé.

S’il voulait vraiment établir une communication avec des spectateurs le nouvel artiste ferait ce que tous ses collègues ont fait depuis la nuit des temps (et que beaucoup continuent d’ailleurs de faire) : il créerait une forme personnelle et signifiante, impliquant son corps et sa sensualité, à travers laquelle il se révèlerait peu à peu à l’autre par l’originalité de son trait, la dimension de ses espaces, la cadence de ses rythmes, l’intensité de ses couleurs, la dynamique de sa composition … Bref il lui offrirait, d’une façon ou d’une autre, un aperçu de sa « subjectivité », que l’autre accepterait ou non, mais sans laquelle aucune véritable relation humaine de toute façon n’est possible. C’est cette diabolisation de la subjectivité par Duchamp, reprise par les minimalistes, qui est la véritable origine du nouvel art ayant recours à toutes sortes de procédés mécaniques pour tenter de rétablir un contact avec le spectateur sans passer par les sens.

Et si le spectateur ingénu croit se sentir ainsi plus proche de l’artiste c’est que, comme 90% de la population, il n’a jamais su vraiment ressentir une œuvre plastique, c’est-à-dire percevoir à travers les traits et les formes revigorant sa vitalité et agrandissant son champ de vision, la conscience de l’autre en train de communiquer avec lui. Il est heurté par le tableau comme par une énigme parce qu’il n’en reçoit pas sa « forme signifiante », laquelle exige un certain travail de recul sur soi-même pour en jouir … alors qu’il éprouve un plaisir immédiat, et infantile, à ces nouveaux jeux de société que sont les « happenings » ou les installations. Comme le savent bien les marchands la foule va toujours au plus facile : le tape à l’œil des créatures infantiles de Murakami, de la pornographie Saint-Sulpicienne d’Araki ou des mickey-mouseries de Jeff Koons, l’impressionneront toujours plus que la Joconde ou Fautrier. Surtout s’ils s’accompagnent de discours ésotériques d’experts médiatisés …

Comment vous démarquez-vous théoriquement des ennemis de l’art moderne… pour l’art moderne ?

La meilleure façon de discréditer un contradicteur plausible est d’amalgamer sa protestation avec celle de tous les ringards terrifiés par la nouveauté en tant que telle. Le journal Les Inrocks en a fait dernièrement une démonstration, éblouissante de mauvaise foi et de démagogie jeuniste, en présentant comme uniques opposants à l’exposition Murakami une bande de vieillards cacochymes brandissant des pancartes à la porte du château. Bref des « Versaillais » rétrogrades assassinant cette grande figure de l’éternelle Commune artistique luttant pour sa liberté ! Comme s’il n’y avait pas d’autres critères de l’art que cet épithète de « moderne » brandi à tout bout de champ pour faire croire que la modernité est une fin en soi (comme le bonheur ou la justice sociale ) déterminante de la valeur de l’œuvre. Et sans qu’aucune voix ne demande : de quoi donc est faite cette modernité ( que les fascistes brandissaient aussi, non sans raison, face aux vieilles démocraties, comme le meilleur argument en faveur de leur régime)? Mais la principale malhonnêteté médiatique, soigneusement entretenue par toutes les parties prenantes de l’expertise artistique actuelle, est précisément ce terme de « contemporain » noyant dans un même vocable à connotation positive des formules d’art ne relevant ni de la même finalité, ni du même niveau de conscience. D’autant plus que le surgissement dans les années quatre-vingt sous le nom de « néo-expressionnisme », « nouveaux fauves », « figuration libre » etc.. de dizaines d’artistes notoires, reprenant la représentation de l’homme et du monde là où Stella l’avait laissée, constituait un grand retour aux critères incontournables de l’art, tel qu’il s’était toujours pratiqué, et un rejet de tout ce qui se voulait l’héritage de Duchamp : la mécanisation minimaliste, l’intellectualisme conceptuel et la création industrielle de babioles spectaculairement monstrueuses baptisées pour l’occasion ready-made.

Bref, à la fin de ce siècle cohabitent sous l’épithète « contemporain » deux, sinon trois formules d’art aussi dissemblables dans leurs conception que dans leurs effets. Dans la première les artistes reviennent à ce qu’ils étaient depuis toujours : des constructeurs de mondes imaginaires, consolateurs d’eux-mêmes et des autres, nous fécondant de leur propre folie par le truchement de leurs formes. Dans la deuxième, celle des formules « minimalistes », la relation de l’artiste avec le spectateur se réduit à une expérience mécanique troublante pour la perception de ce dernier, dans le but, semble-t-il, de le convaincre de son impossibilité à saisir le réel, sans qu’on discerne très bien le bénéfice que ce constat d’impuissance puisse apporter à l’un et à l’autre. Quant à la troisième formule, qui constitue l’aboutissement logique de la réification et de la mécanisation de l’art en cours depuis les années soixante, il est une tentative d’ériger en mythe des objets industriels d’inspiration purement matérialiste pour leur conférer un statut « d’œuvre d’art », tout en restant accessible à des sensibilités ne fonctionnant que sur le mode primaire. Le but étant de susciter une nouvelle classe de collectionneurs peu enclins aux efforts exigés jusqu’ici par l’appréhension d’une œuvre.

Ceci étant posé, en quoi Anselm Kiefer et ses murs d’ex-votos géants, ses immeubles-bunkers fracassés où poussent des soleils noirs, ses monumentales bibliothèques de plomb et ses entassements de débris inorganiques est-il moins « moderne » que Jeff Koons et son univers pour petits bourgeois immatures avec ses poupées kitsch, ses nains de jardin géants et ses dessus de cheminée coquins ? En quoi les personnages quasi pariétaux de Penck ou Baselitz, les récits sarcastiques d’Immendorf ou les figures mythiques de Luppertz ou Basquiat sont-ils moins « modernes » que les mini-peluches d’un Mike Kelleigh, les rectangles de briques d’un Carl André ou les monuments d’acier vaguement dissymétriques de Richard Serra ? En quoi Ernesto Neto qui intègre lui aussi les spectateurs dans son œuvre comme dans des installations mais pour les régénérer par la vitalité et l’harmonie de ses rêves de tulle est-il moins moderne qu’un Buren baladant des spectateurs passifs dans des dédales sans surprise ? Ou faut-il croire, ce qui est probablement le cas, que le seul fait d’être industriel et mécanique, c’est-à-dire vide de toute référence à l’imprévisible matière vivante, assure actuellement à tout objet artistique mort une aura prestigieuse de modernité ?

Vous considérez que cet art est symptomatique d’une sorte de projet d’autodestruction monté par l’homme pour l’homme et qui s’exprime dans d’autres domaines. Comment peut-on réorienter la mécanique suicidaire ?

L’art n’est qu’une conséquence : l’expression d’un état de l’homme à un moment donné. Il n’est en aucun cas l’initiateur de la dépression en cours. Et il n’y a pas un « projet » suicidaire mais un fonctionnement auto-destructeur de l’homme qui a produit un repliement sur soi lui interdisant de se revitaliser par la communication subjective avec les autres, fonctionnement qui était jusqu’ici à la base de l’art traditionnel. Le nouvel artiste a donc inventé une nouvelle formule d’art dans lequel la communication ne s’effectue plus par les sens mais par les moyens mécaniques du happening ou des installations minimalistes .Ce qui n’a pas les mêmes résultats bénéfiques pour la conscience et le désir de vie …
Quant à « réorienter la mécanique suicidaire » engendrée par le post-moderniste c’est là l’énorme problème de société que vos générations devront résoudre pour survivre, et pour lequel l’art ne peut être d’aucune utilité, sinon de signaler en temps opportun, par un renouveau de dynamisme stylistique, que l’être humain reprend du poil de la bête.
Peut-on parler d’adhésion des élites, critiques, bourgeoises, snobinardes, à ce projet d’autodestruction ? Y a-t-il une motivation consciente ou intéressée à ce projet, l’idée souvent évoquée dans la littérature de science-fiction ou d’anticipation, selon laquelle une élite autoproclamée survivrait en ayant sacrifié volontairement tout le reste ?

Il n’y a pas de « projet » d’auto-destruction. Il y a un fonctionnement auto-destructeur de l’homme dû aux contraintes de la société industrielle engendrant un manque de communication humaine et un relativisme idéologique lui interdisant de donner un sens à sa souffrance, et une direction pour la combattre. Quand à l’adhésion des « élites bourgeoises, snobinardes » à l’art contemporain, elle s’interprète de deux façons. D’une part elle donne à des cadres technocrates, particulièrement formatés et serviles, du fait de leur carrière, et particulièrement insensibles du fait de leurs études techno-scientifiques, l’illusion gratifiante et sans danger de « transgresser » (le maître-mot de cet univers irréel qu’est l’Art contemporain) les pesantes conventions du monde totalitaire de leurs entreprises en participant à une activité rédemptrice et ésotérique réservée aux happy-fews.

Mais à un plus haut niveau, celui où les très grandes fortunes s’allient aux politiques, il est bien évident qu’en sus des profits dus à la spéculation sur les oeuvres, l’Art Contemporain est un des principaux leurres déployés dans le monde par les puissances d’argent pour convaincre les bourgeoisies occidentalisées de la sophistication intellectuelle et morale du système qui leur est imposé. Un club fermé qui a l’avantage d’offrir de généreuses prébendes à une population d’intellectuels en mal de carrière qui se trouvent politiquement désamorcés du fait même qu’ils participent à la promotion de l’Art. Et quel mal peut-il donc y avoir à aider des artistes à sortir de l’ombre ? D’autant plus que comme chacun sait ceux-ci sont absolument libres de faire et dire ce qu’ils pensent : dans l’univers clos de l’art contemporain tout est permis y compris de cracher à la gueule de son commanditaire. Un acte « transgressif » justement, qui, habilement présenté par quelque « expert » intellectuel, valorisera le crachat pour lui donner une plus value.

Cela dit le manque de réaction populaire aux destructions économiques et humaines provoquées par l’avidité sans frein des banques démontre que nous sommes effectivement entrés dans cette ère de l’asservissement indolore planétaire prédit par A.Huxley, H.G. Wells et d’autres. Nous avons commencé à vivre les prédictions les plus pessimistes de la Science Fiction parmi lesquelles, évidemment, le renforcement du système d’auto-protection des élites bien conscientes que les ravages écologiques imminents risquent de mettre en péril leur pouvoir si on ne diminue pas drastiquement la population du globe. La consultation des minutes et autres documents confidentiels des Forums de Davos, du groupe de Bilderberg et de la Trilatérale, ou autres think tank conservateurs, serait à cet égard bien intéressante. En attendant que Wikileaks nous les révèle, je vous renvoie à l’excellent livre de Susan George : Le Rapport Lugano (aux Editions de l’Aube). Selon lequel la survie du système capitaliste nécessiterait le sacrifice de deux milliards d’individus dans les dix ans. Choisis parmi les plus pauvres de préférence…

Le livre se termine par une jolie question : « A partir de quel degré d’insensibilité, est-ce que je deviens un tortionnaire?» Comment voulez-vous qu’on se débrouille avec ça ?

On n’apprend à vivre qu’en se mettant en danger. A cet égard l’inexpérience humaine et le manque de vécu de vos générations hyperprotégées sont devenus à la longue redoutables. Quiconque n’a pas affronté la vraie violence des guerres ou des révolutions ignore avec quelle rapidité un bourgeois cultivé plein de bonnes intentions sombre dans le sadisme et la férocité pour peu qu’il ait peur et qu’il en ait reçu l’ordre. Et quelle maîtrise de soi il faut avoir pour garder malgré la panique cette empathie minimum qui garde en vous un reste d’humanité. Les technocrates impubères et carriéristes qui commettent des désastres humains dans les entreprises comme France-Télécom sont exactement ceux qui, sans état d’âme, au cours des fameuses expériences sur la torture, augmentent sur ordre la décharge d’électricité malgré les hurlements apparents du supplicié.